Avec Blandine Métayer, le théâtre se met au service du féminisme
« Ce que je vous dis, je ne l’ai jamais dit, même à mon mari ». Pour écrire « Je suis top ! », sa pièce qui raconte, entre rire et larmes, le quotidien d’une femme cadre ayant percé le plafond de verre, Blandine Métayer a recueilli une quarantaine de témoignages, dont certains très personnels.
« J’ai fait des interviews dans tous les secteurs, de l’industrie à la grande distribution en passant par les labos, auprès de femmes de 25 à 55 ans. » Presque un travail de journaliste ! Parmi celles qui ont accepté de partager leur expérience figurent l’ancienne ministre du Travail Muriel Pénicaud, qui a longtemps œuvré comme DRH de Danone, ou encore Brigitte Grésy, haute fonctionnaire qui a rédigé de nombreux rapports sur les inégalités de genre ainsi que des livres sur le sexisme.
Plus de 400 galas en entreprises
Produite par Changement de décor (production et événementiel) et jouée pour la première fois au Théâtre de Dix heures le 21 septembre 2010 – au moment où la future loi Copé-Zimmermann donnait lieu à d’intenses débats sur l’égalité hommes/femmes au sein des entreprises – la pièce est toujours autant d’actualité. La veille de notre entretien, Blandine Métayer a joué « Je suis Top » devant des salariés d’EDF.
Car son succès ne faiblit pas. « J’ai fait plus de 400 galas en entreprises, souligne-t-elle. Changement de décor propose la pièce dans son intégralité, ou bien une version plus courte, d’une durée de 40 minutes, qui est aussi plus légère dans la mesure où je peux venir sans les lumières et tout le matériel. » Elle a même écrit – et appris – une version en anglais pour les besoins des entreprises internationales !
Pfizer, BNP Paribas ou encore Axa l’ont ainsi invitée à intervenir pour des journées de sensibilisation de leur personnel. La représentation de sa pièce est alors suivie de débats, ou sert de rampe de lancement à des actions de formation en interne. Elle peut aussi intervenir sous forme de théâtre interactif, « en écrivant des saynètes sur mesure ». Parfois, on lui demande un texte sur le sexisme, sur le harcèlement moral et sexuel, ou encore sur les discriminations subies par les personnes LGBTQ+. Elle intervient alors en duo avec d’autres comédiens. « Je suis top ! n’est pas une pièce figée », souligne-t-elle, et c’est peut-être là la clé de sa longévité. « A chaque débat en entreprise, je récolte de nouvelles anecdotes et je les utilise ».
Marraine de la campagne « Sexisme, pas notre genre »
Mais les directions d’entreprise sont loin d’être les seules à s’appuyer sur le spectacle de Blandine Métayer pour développer leurs programmes d’égalité professionnelle. « J’ai aussi joué pour presque tous les syndicats, souligne-t-elle. Je joue en juin prochain au Congrès de la fédération de la Métallurgie de la CFE-CGC qui se tiendra au Havre. » Les politiques aussi la plébiscitent. « Emmanuel Macron connaissait « Je suis top ! » sous la forme du livre graphique que nous avons publié avec la scénariste Véronique Grisseaux et la dessinatrice Sandrine Revel aux éditions Delcourt, raconte-t-elle. Je le lui ai dédicacé lors d’un événement consacré aux femmes, en mars 2017″.
Cette année-là, le président fraîchement élu a en effet promis de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes « la grande cause du quinquennat ». Bien avant son élection, plusieurs ministres chargées de la Solidarité et de l’Égalité entre les femmes et les hommes avaient fait appel à la comédienne pour leurs événements, telles Roselyne Bachelot, Najat Vallaud-Belkacem, Pascale Boistard et Laurence Rossignol, qui lui avait demandé d’être une des marraines de la campagne « Sexisme, pas notre genre ». Marlène Schiappa, pas encore secrétaire d’Etat, l’avait sollicitée pour la première convention de Maman travaille.
Un spectacle sur l’histoire du féminisme
Parfois, la comédienne engagée fait un pas de côté pour changer un peu d’horizon. « En ce moment, je joue à Paris une comédie de boulevard en musique, Mariage contre la montre, créée en 2022 à Avignon », rappelle-t-elle. Pour ne pas perdre un héritage, une star excentrique est bien décidée à marier son fils unique en un week-end. Avec qui ? Peu importe ! Un spectacle où les portes claquent comme chez Feydeau ou Tristan Bernard. Après le théâtre de Trévise, cette pièce est donnée jusqu’au 6 mai aux Enfants du Paradis. « Du pur divertissement », sourit Blandine Métayer.
En 2024, changement de cap complet, avec « En attendant Hubertine », une pièce historique dont elle est l’autrice. « Il s’agit d’une pièce chorale sur les féministes au XIXème siècle, avec 7 personnes sur scène en costumes d’époque », dévoile-t-elle. On y découvrira des profils de femmes militantes, telle Maria Pognon (authentique !), journaliste et écrivaine, qui présida le Congrès international de la condition et des droits des femmes en 1896, mais aussi Marguerite Durand, Séverine, Léon Richer, féministe de la première heure avec Maria Deraismes…
Le tunnel de la comédienne de 50 ans
Blandine Métayer fait partie des comédiennes d’aujourd’hui qui s’inscrivent dans la lignée de ces pionnières. Au sein de AAFA- Actrices et Acteurs de France Associés, elle fait partie d’une commission, le Tunnel de la Comédienne de 50 ans, à l’origine d’un manifeste pour embarquer vers de meilleures pratiques les professionnels du scénario, de la mise en scène, du casting, de la production et de la distribution. « Parce qu’après cet âge, les femmes disparaissent des écrans, explique-t-elle. En 2021, elles n’ont obtenu que 7% des rôles au cinéma. » Deux fois moins que les hommes, qui au même âge peuvent interpréter 16% des personnages mis en scène dans les films. Pour Blandine Métayer, il ne s’agit pas seulement d’un dysfonctionnement professionnel, mais d’un véritable problème de société. Car, affirme-t-elle, « Ce qui n’est pas représenté n’existe pas. »
Par Anne-Marie Rocco le 14.04.2023 à 09h00